jeudi 28 février 2008

John Lennon - Plastic Ono Band (1970)

Au contraire de George Harrison qui, dès la libération des Beatles venue, pondit un gros triple album bien riche et consistant, John Lennon envisagea l'évènement d'une manière complètement inverse.

C'est sa thérapie du "Cri Primal" qui influença grandement son futur premier album solo. Je ne pourrais vous expliquer clairement ce que c'est mais disons que, il me semble, il s'agit d'une méthode d'apaisement de l'esprit par le cri. On crie pour libérer ses sentiments, ses mauvaises ondes, tout ce qui ne va pas. Dans le couple Lennon-Ono, on doit tout de même avouer que c'est certainement Madame qui a le mieux appliqué la leçon. ;-)

Donc Lennon, après qques singles plus ou moins solos ("Instant Karma !", "Give Peace a Chance"), livre un album qui lutte avec acharnement au titre de meilleur album solo de l'un des Beatles avec l'Oeuvre de Harrison. Mais difficile de comparer tellement ils sont aux antipodes l'un de l'autre.

Avec "Plastic Ono Band" (le nom du super groupe formé par Lennon après les Beatles le temps de qques singles et concerts), Lennon Super-Star retrouve John, retrouve qui il est, son moi perdu depuis plusieurs années dans les méandres du show business. C'est John qui chante et il le fait savoir dans plusieurs morceaux. John est là, mais Yoko aussi. Voici John et Yoko pour la première fois, livrant leur premier bébé de la décennie 1970.

Pour ce faire, Lennon s'attache les services de l'éternel Phil Spector à la production (qui n'en fera pas des tonnes, bien au contraire !), l'ami Klaus Voormann à la basse, Ringo Starr à la batterie, prouvant ici qu'il est un très très grand artiste dans ce domaine. Billy Preston viendra donner un coup de main sur un titre.

Cet album, c'est donc le retour aux sources pour John. Pas les sources musicales (il le fera plus tard) mais des sources vitales, philosophiques. C'est le retour à l'état de nature, il quitte le star system. La jolie pochette illustre bien cet état d'esprit : on y voit un pré, un grand arbre au pied duquel John se repose sur le ventre de Yoko. Rien de plus simple.

La version que je possède date de sa réédition remasterisée donc je ne sais pas trop ce qui est original dans le livret. On y retrouve les textes manuscrits des chansons accompagnés de photos de John avec ou sans Yoko. Au dos de la pochette, on retrouvait une photo de John Lennon petit garçon.

Vous avez compris, c'est dépouillé, c'est brut, c'est à fleur de peau, c'est John, tout simplement...

- "Mother" (Lennon) : ça comment par un gros son de cloche, une oraison funèbre sans doute... c'est glaçant, effrayant. Puis la voix de John arrive soudain. Cette chanson représente l'album à elle toute seule, c'est assurément l'une des plus poignantes jamais écrites par Lennon. Quand ce dernier touche à son enfance, ça finit toujours en chef d'oeuvre ("In my life", "Strawberry Fields Forever"...), allez savoir pourquoi, ça l'inspire profondément. La musique est simpliste au possible, piano-basse-batterie avec un rythme très particulier très bien tenu par Ringo Starr. Les paroles sont déchirantes : "Maman, tu m'as eu mais moi, je ne t'ai jamais eu, je t'ai voulu mais tu n'as jamais voulu de moi, donc je veux juste te dire adieu..."; "Papa, tu m'as abandonné, mais je ne t'ai jamais laissé, j'avais besoin de toi mais tu n'as jamais eu besoin de moi, donc je veux juste te dire adieu..."; "Maman, ne t'en vas pas, Papa, reviens à la maison". Et tout cela, c'est la réalité de son enfance, affichée aux yeux de tous. Son interprétation est remarquable en tous points, commençant doucement mais restant tonique jusqu'au bout, s'achevant par des cris déchirants, transformant bien le texte en appel désespéré d'un petit garçon envers ses parents qui l'ont abandonné...

- "Hold on" (Lennon) : Un petit peu d'espoir quand même grâce à ce joli petit titre, tout simple, tout doux où Lennon s'appelle John et Ono s'appelle Yoko. Il s'interpelle, lui et sa compagne, puis le monde entier, leur disant de tenir bon ("hold on"), que tout ira bien... Dans le texte, c'est du Bob Marley avant l'heure ! Voilà, tout va bien, on est serein et c'est très court...

- "I found out" (Lennon) : Allez, ça swingue un peu plus ici avec un son un peu rustique, écorché, très roots. Rythme entêtant, prodution minimaliste, voix rauque comme il sait si bien le faire, c'est du Lennon pur jus. Les paroles sont du même acabit, fruit des révélations qu'a pu avoir John à l'issue de ses thérapies diverses. "J'ai compris" ou "J'ai trouvé" chante-t-il avec son air défiant. Il rejette tous les fanatiques qui l'entourent, ceux qui croient en Jésus, ses parents qui l'ont abandonné mais qui ont fait de lui une vedette, les fous qui croient en Krishna et autres divinités hindous, tous des drogués en gros, méfions-nous des gourous et autres donneurs de leçons. Le texte est vraiment aussi puissant que la musique est dépouillée. C'est du grand art, ça tape fort, là où ça fait mal, c'est John.

- "Working Class Hero" (Lennon) : Cette chanson est l'une des plus marquantes de l'album et commence à refaire surface ces derniers temps. John, seul à la guitare, voix sombre et caverneuse, célèbre les "héros de la classe ouvrière", les siens, ceux qui sont partis de rien ou qui n'ont toujours rien et qui sont oppressés par ceux placés plus haut qu'eux, enfants comme adultes. Lennon leur rappelle que ce sont donc eux, les héros, ceux qui ont le mérite, qui souffrent en silence. Le texte est ainsi très imagé, politisé et fortement ancré à gauche si on peut dire. Car la musique n'est qu'un subtil accompagnement, ici, c'est le bien texte qui prime avant tout, c'est un véritable plaidoyer de Lennon pour les classes prolétaires. A l'image de cet album, c'est un morceau brut, fort et qui va droit au but.

- "Isolation" (Lennon) : Cette pépite est l'une de mes préférées de "Plastic Ono Band". Le son est tout à fait lennonien, c'est tout lui, c'est son style, tellement copié par la suite. Ce piano frappé qui résonne, cette voix doublée, fortement amplifiée, vers le milieu du morceau... C'est somptueux, tout Lennon dans une chanson. Le texte est lui aussi assez simple, semblant évoquer les persécutions et incompréhensions subies par Lennon et sa compagne de la part des médias notamment. Très belle mélodie donc, lente, pour une fin des plus abruptes.

- "Remember" (Lennon) : Le rythme s'accélère ici avec une nouvelle petite mais longue ballade sur le souvenir, la mémoire, le passé. Batterie, piano et basse, rien de plus et c'est très efficace, petite mélodie entêtante, saccadée, coupée par d'excellents breaks. La fin est elle aussi assez soudaine, marquée par un bruit d'explosion. Lennon s'adresse ici à un adulte actuel, lui rappelant le temps où il était enfant, lui expliquant qu'il n'a pas à s'inquiéter et regretter ce qu'il a pu faire par le passé, parce qu'en gros, c'est le monde qui est perverti et ce sont bien les adultes d'alors qui ont provoqué toute cette perte.

- "Love" (Lennon) : Retour à un peu de douceur et d'optimisme dans cet album avec cet éloge de l'amour. Chanson lennonienne typique sur l'amour et tout ce qui l'entoure, c'est Phil Spector qui est au piano cette fois-ci, Lennon à la guitare. Le texte est des plus épurés avec une certaine logique : "Love is real, real is love; love is touch, touch is love". Mais tout cela reste très poétique, la mélodie est belle et l'interprétation de Lennon est infiniment touchante.

- "Well, well, well" (Lennon) : Bon rock bien gras et rauque, voici à nouveau une chanson qui expérimente les techniques de cri primal si on peut dire. Vers le milieu de la chanson, Lennon accentue ses cris sur "Well, well, well", de plus en plus arrachés et tranchants. Les paroles ne sont donc que secondaires mais il y a quand même des couplets dans lesquels l'auteur raconte qu'il a emmené sa copine à dîner, puis dans un grand champ pour regarder le ciel anglais avant de se mettre à parler de révolution, de la libération des femmes... C'est plus subtil qu'il n'y paraît, parfaitement dans le contexte de la vie de Lennon à l'époque. Même si l'aspect général de la chanson est placé sur le mode rock agressif, la fin est plutôt humoristique, marquée par un Lennon, sans voix, qui n'arrive plus à bien placer ses "Well" et qui en rigole, mettant fin à ce qui ressemble finalement plus à une démo, mais tel était le but de cet album, brut et presque improvisé.

- "Look at me" (Lennon) : C'est à nouveau en mode démo que se joue cette chanson, avec qques mots de Lennon pour l'introduire, genre "Ok, on y va..." et le morceau démarre. Jolie petite chanson douce ici, contrastant particulièrement avec la précédente. C'est le retour du Lennon tendre et amoureux, qui parle à sa belle, s'interrogeant sur lui-même, sur son amour. C'est donc une chanson faite de questions, typique là aussi d'un Lennon qui est loin d'avoir toujours eu confiance en lui. C'est avec ce genre de chanson qu'il se dévoile, se met à nu, montrant au monde sa vulnérabilité. Et c'est lorsqu'il est le plus humain qu'il est le plus beau.

- "God" (Lennon) : Ce morceau, l'un des plus beaux et les plus forts de l'album, est fondamental dans tous ceux écrits par Lennon. Il illustre parfaitement son point de vue sur beaucoup de choses mais il est aussi l'image d'une époque, cette espèce de dépression que semblait traverser le monde à la fin des années 60, tous les idéaux partant en fumée. On retrouve donc ici le Lennon provocateur comme jamais, intitulant sa chanson "Dieu" et l'introduisant par "Dieu est un concept par lequel nous mesurons notre peine", le répétant une autre fois pour bien appuyer sa thèse anticléricale. Puis il dresse une liste de toutes les croyances, les choses en lesquelles il ne croit pas ou plus : la magie, le I Ching, la Bible, les tarots, Hitler, Jésus, Kennedy, Buddha, les mantras, Gita, le Yoga, les Rois, Elvis (se jouant de ce dernier en l'imitant quand il prononce son nom), Zimmerman (Dylan...), les Beatles... Il termine en chantant qu'il ne croit qu'en lui-même, Yoko et lui parce que ça, c'est la réalité. "Le rêve est terminé" ("Dream is over") est la conclusion frappante de cette chanson. Il n'est plus la star qu'il a été, il n'est qu'un homme, John. Toute la philosophie de Lennon ou presque est ainsi révélée dans cette chanson. Il rejette toute forme de croyance, toute forme d'idole, bonne ou mauvaise, ne se référant qu'à la plus simple réalité, c'est-à-dire lui-même et son couple. La musique qui accompagne ce texte est somptueuse, avec notamment Billy Preston au piano et un fabuleux Ringo Starr à la batterie. Une mélodie ouvre le postulat de départ, puis une phrase musicale particulière pour chaque nom cité par Lennon, marquant bien le coup, s'accentuant de plus en plus au fur et à mesure de la liste. Cette suite s'interrompt brusquement après le dernier nom, "The Beatles", reprenant le thème de départ pour la conclusion de Lennon, chantée sur un registre triste et mélancolique. John y est encore des plus touchants, confirmant son plus grand talent de chanteur et de mélodiste.

- "My Mummy's dead" (Lennon) : Penchant encore plus tragique de "Mother" et conclusion de l'album, John y chante ainsi que sa maman est morte, qu'il n'arrive toujours pas à s'y faire, que cela lui cause beaucoup de peine. Chantée sur le ton d'une berceuse, à la manière d'un petit garçon, avec un son étouffé comme enregistré sur un petit magnétophone, ce très court morceau vient ainsi clore de manière assez triste un album dont, vous l'avez bien compris, l'atmosphère générale était placée sous le signe de la nostalgie mélancolique...

- "Power to the people"* (Lennon) : Premier bonus de la réédition de l'album, il s'agit d'une chanson sortie en single qques temps après, en 1971. Véritable hymne à la liberté, il y a du "Give Peace a chance" dans ce morceau. Sur un ton à la fois furieux et enjoué, Lennon appelle donc à ce que les gens prennent le pouvoir, descendent dans la rue, fassent la révolution mais il mentionne également qques vers pro-féministes, sans doute sous l'influence de Yoko Ono. "Power to the people" n'a rien d'extraordinaire, c'est un gospel répétitif mais qui correspond bien à l'état d'esprit de Lennon à l'époque, très revendicatif et proche du peuple.

- "Do the Oz"* (Lennon/Ono) : Ce morceau est un véritable bonus puisqu'il était resté pratiquement inconnu jusqu'à cette réédition. Il était apparu sur un obscur single de soutien pour un magazine underground anglais, "The Oz", en 1970. Avec une rengaine intéressante et collant bien aux sonorités de l'époque, un Lennon énervé chante continuellement le même refrain "Do the Oz", avec des couplets de remplissage où il appelle à bouger les bras et les jambes, successivement vers la droite et vers la gauche. Derrière, Yoko Ono pousse qques cris mais qui ne viennent pas forcément gâcher l'ensemble. On ne saura pas vraiment si la version proposée est l'originale puisqu'apparemment, la chanson a été remixée voire réajustée pour être placée sur cet album. Le résultat est tout de même bon et si elle ne restera pas dans les annales lennonienne, "Do the Oz" reste une intéressante découverte.

"Plastic Ono Band" est véritablement l'album de la rupture pour John Lennon. Rupture avec les Beatles, son super groupe précédent, rupture avec les années 60, époque faste mais pervertie ("Dream is over"), rupture avec ce mode de vie et ces idéaux qui ne font plus illusion. L'artiste veut passer à autre chose et cet album constitue une introspection sur lui-même qui débouchera sur un nouveau Lennon, un simple John.

Sur cet album, Lennon exprime de manière simple et brute, tout ce qu'il a sur le coeur, tous ces sentiments refoulés, ces doutes cachés pendant tout ce temps. Ainsi, on peut distinguer trois thèmes principaux qui sont une autobiographie du chanteur à ce moment-là précis : son enfance (marquée durement par la mort de sa mère), l'amour (retour à une relation simple, saine et unique, avec Yoko Ono) et la société (finies les croyances superficielles et le star system).

Lennon s'est orienté ici vers une recherche absolue de la simplicité à travers ces textes et cette mise en musique dépouillée. Il a parfaitement atteint son but, nous donnant une vision extraordinairement touchante de sa vie à cette époque, sans détour ni métaphore. Peu d'artistes seraient capables d'une telle audace, Lennon l'a fait et ne s'y est pas raté. "Plastic Ono Band" est son meilleur album solo et peut-être même le meilleur album solo d'un ex-Beatles, à la dérive mais droit dans ses bottes.

Les morceaux à retenir : "Mother", "Working Class Hero", "Isolation", "Remember", "Love", "Well Well Well", "God".