lundi 18 janvier 2010

The Beatles - With the Beatles (1963)

Quelques mois seulement après la sortie de "Please Please Me", les Beatles sont de retour dans les bacs pour des fans à peine rassasiés.

C'est le rush, le buzz prend et il fallait être prêt à servir une nouvelle fournée de chansons au public. Encore une fois, on trouve un album composé avec, à peu près, une moitié de morceaux originaux et une moitié de reprises que les Beatles avaient l'habitude de jouer depuis longtemps en concert.

Même si contrairement au précédent, l'album n'a pas été enregistré en seulement une journée, les Fab Four n'ont eu besoin que de six petits jours (28 heures) pour le produire, dispersés entre juillet et octobre 1963. En effet, dehors c'est la folie, tout le monde veut les Beatles, ils tournent déjà partout à n'en plus pouvoir et pour calmer les ardeurs, il y a également moult singles qui sortent entre chaque album.

Pour changer aussi, pour la pochette, les Beatles font appel à un photographe renommé, Robert Freeman, qui leur offrira une photo de couverture qui fera date avec les Beatles en clair obscur, l'air sombre et tourmenté. Cette image correspond assez bien avec le contenu de l'album qui contraste entre sauvagerie et moments de douceur intense.

A l'intérieur, on retrouve de jolis photos de nos quatre garçons bien sages avec leurs petites coupes de cheveux et leurs petits costumes. L'attaché de presse Tony Barrow se charge des notes explicatives, reprenant chaque chanson une à une pour en délivrer une analyse enjouée.

C'est ainsi avec lui que nous allons écouter cet album qui est finalement un simple prolongement de "Please Please me".

- "It won't be long" (Lennon/McCartney) : Et un départ en fanfare pour cet album avec sans doute la chanson la plus rock du lot, avec des "Yeah" de partout. Tony Barrow parle du "traitement puissant" de Lennon et il a raison. Au chant, John est imbattable, très énergique. Lors des ponts, les choeurs derrière sont divins, tout en harmonie. La lead guitar de George est simple et efficace. Un vrai bon morceau d'ouverture qui cache toujours chez Lennon un texte assez mélancolique, sur un amour perdu qui finit par revenir. Ouf !

- "All I've got to do" (Lennon/McCartney) : On se rasseoit tranquillement avec le morceau suivant, beaucoup plus calme et ombrageux. C'est un morceau assez mineur et très méconnu de la longue liste de chansons des Beatles, dans un style américain selon Lennon qui voulait imiter Smokey Robinson. C'est une jolie chanson pourtant, avec un John chantant merveilleusement bien, toujours aussi ténébreux sur ces textes d'amoureux transis qui s'appellent au téléphone pour se dire des mots d'amour. Il y a aussi ce rythme un peu saccadé, qui s'accélère à certains moments pour ralentir abruptement ensuite, et des choeurs toujours aussi bien maîtrisés.

- "All my loving" (Lennon/McCartney) : Sans doute la chanson la plus connue de l'album ou celle qui a eu le plus de destinée ensuite puisque encore chantée récemment par Paul McCartney en concert. C'était la première fois qu'il écrivait une chanson en commençant par les paroles. Bien lui en a pris, cela a fait un carton. C'est assez compréhensible car le rythme est élevé, et Paul garde un air assez constant pendant toute la chanson, changeant rarement de mélodie. Dès qu'il le fait, on a de jolis choeurs derrière, suivis d'un petit solo country signé George. Lennon va peu à peu apporter son contre-choeur, donnant toujours un peu plus de profondeur au morceau. Le texte parle encore et toujours d'amour, avec un narrateur qui s'en va mais promet à sa dulcinée qu'il lui enverra son amour par tous les moyens possibles. Pas forcément mon morceau préféré mais il est efficace, c'est indéniable.

- "Don't bother me" (Harrison) : Et voici la première composition officielle de George Harrison à atterrir sur un album des Beatles. Un morceau déjà très personnel, qui sort un peu de ce fait son duo de collègues. En effet, les paroles sont assez dures, parlant d'amour, oui, mais en fait le narrateur rejette les avances d'une jeune fille, ne pouvant supporter que sa dulcinée précédente le quitte. C'est donc déprimant, rien ne pourra plus le rendre heureux. Comme le morceau précédent, la mélodie est quasiment la même tout au long de la chanson, plutôt relevée malgré tout et pas désagréable. On reconnaît déjà là un vrai style à lui. Un morceau mineur, certes mais qui porte déjà sa première signature.

- "Little Child" (Lennon/McCartney) : Harmonica, piano vif et c'est parti pour un tout petit morceau tout mignon et qui ne mange vraiment pas de pain. Les Beatles l'ont confessé, fallait bien le remplir cet album. Pas grand chose de génial derrière ce rock bien mené tout de même avec un énorme solo d'harmonica signé Lennon qui en est l'interprète principal. Lui qui appelle une jeune fille à danser avec lui parce qu'il se sent "triste et seul". Au départ, ce morceau était destiné à Ringo qui se chargera de chanter "I wanna be your man", à venir...

- "Till there was you" (Willson) : La première reprise de l'album. Pas commune. Il s'agit d'une chanson issue d'une comédie musicale écrite et composée par l'Américain Robert Meredith Wilson, intitulée "The Music man". A l'origine, elle est chantée, sur scène et dans le film qui suivit, par une femme. Il y eut différentes interprètes mais le morceau vint aux oreilles de Paul grâce à sa reprise par la chanteuse Peggy Lee. Il ne sut que bien plus tard que le morceau venait en réalité d'une comédie musicale, avec un texte très rose et poétique. Tout ça pour dire que les Beatles en furent les seuls interprètes masculins ! De plus, ils chantaient cette chanson dès leur passage à Hambourg, cela contribuait à calmer un peu les ardeurs. Il s'agit en effet d'un morceau très cool, relax, avec une version légèrement latino pour les Fab Four (avec guitares acoustiques et bongos pour Ringo). La version originale est beaucoup plus lente et symphonique, bref comédie musicale. C'est ainsi une vraie réinterprétation, originale et personnelle, avec un charmant solo de George Harrison, très technique et magnifiquement réussi. Paul apporte son timbre de voix chaud et rond. Hmmm... Divino...

- "Please Mister Postman" (Dobbins/Garrett/Holland/Bateman/Gorman) : Une autre reprise, back to the Motown que les Beatles ont souvent sollicité. Là encore, aucun problème à reprendre un morceau originellement chanté par un trip de demoiselles, les Marvelettes. Beaucoup de noms au générique parce qu'elle a été sans cesse remaniée par les patrons du label. A nouveau, les Beatles y apportent une touche personnelle beaucoup plus rock et imprimée. Lennon au chant principal, implorant le facteur de lui livrer une lettre de sa bien-aimée qui est si loin et qui lui manque tant... Aux choeurs, Paul et George rivalisent de "wooo" et autres vers complémentaires. Le tout pourrait être un peu plus énergique, surtout étant donné l'intro tonique, mais on a tout de même un bon morceau, efficace.

- "Roll over Beethoven" (Berry) : Complètement fans furieux de Chuck Berry, les Beatles l'ont repris sous toutes les coutures et notamment avec ce morceau phare, interprété avec vigueur par George. L'intro à la guitare est juste spldendide, reflétant à nouveau le toucher magnifique du plus jeune des Fab Four. Vocalement, cela reste un peu mesuré mais George est dedans jusqu'au bout, sans choeurs en plus ! Musicalement, c'est on ne peut plus rock'n'roll. Difficile de faire plus représentatif. Puis vient le solo échevelé de fin de course, parfait, et un dernier coda magnifique pour finir. Vraiment un morceau fondateur du rock. Le texte de Chuck Berry est vraiment une perle également, avec multiples références à d'autres morceaux rock d'Elvis, Perkins et cie. Surtout, il est très écrit, très énergique et dynamique. La version originale est toutefois plus bluesy que celle des Beatles. A part ça, rien à dire, c'est un mythe.

- "Hold me tight" (Lennon/McCartney) : A un monument succède malheureusement un morceau beaucoup plus mineur signé du tandem John-Paul. D'ailleurs, ils l'ont vite renié, le considérant comme un morceau de remplissage, qui, d'ailleurs, avait été mis à la corbeille de l'album précédent. Mais là encore, soyons un peu plus indulgent à l'écoute. Il y a du rythme, du tapement de mains, et une jolie énergie dans la voix de Paul, et des effets de choeurs intéressants. Le pont est cependant presque faux et sans grande saveur. Le texte est lui aussi simplissime, le narrateur demandant simplement à sa belle de le tenir fort dans ses bras. Et là, tout va bien...

- "You really got a hold on me" (Robinson) : Un classique du groupe masculin de la Motown, les Miracles, mené par le grand Smokey Robinson, dont les Beatles étaient de grands amateurs. Pour une fois, les Fab Four "respectent" assez l'original pour en donner une version proche. Les choeurs sont similaires, le chant principal de Lennon est puissant et magnifique. Un peu plus blues que l'original qui lorgne du côté de la soul, Motown oblige. Une bien jolie reprise donc, très respectueuse, avec George Martin aux claviers.

- "I wanna be your man" (Lennon/McCartney) : La tradition de donner un morceau à chanter à Ringo se poursuit ici avec ce titre très rythmé, mais qui malgré toute sa fougue n'est pas très emballant, sans doute trop pressé. Le narrateur insiste auprès d'une jeune fille pour être son "homme", mais à l'écoute, c'est presque du harcèlement ! Un titre pas vraiment très original, extrêmement répétitif et un peu trop confus en plus avec cette voix grave et ronde de Ringo. Loin d'un cadeau donc, du coup la chanson sera refilée dans le même temps à des Rolling Stones en mal de tubes pour leurs débuts. Pour le coup, leur version est bien mieux travaillée et intéressante là où celle des Beatles n'est que chaos et surexcitation. Un point faible de cet album.

- "Devil in her heart" (Drapkin) : Ecrite par un certain Richard Drapkin alias Ricky Dee pour un groupe Motown, The Donays, il s'agit à nouveau d'une chanson de filles reprise par nos Beatles mâles. Comme quoi ! Bon, ces dames n'ont eu que peu de succès, à peine ce single apparemment. Côté Fab Four, c'est George qui se colle au chant, avec sa voix de jeunot, avec ses deux compères derrière pour un dialogue assez intéressant. Ces derniers lui chantent que la fille qu'il aime a "le diable dans son coeur", tandis que lui répond en disant qu'il ne peut y croire, qu'elle est un ange, etc. C'est la seule originalité d'une chanson qui n'a pas grand intérêt autrement. Leur version, mignonne, est assez proche de l'originale, toujours avec ce côté vaguement latino avec Ringo aux maracas.

- "Not a second time" (Lennon/McCartney) : Dernière composition originale de l'album, c'est une chanson qui fait partie de mes préférées de l'opus. Elle a ce rythme plutôt soutenu malgré un texte assez dur et triste puisque le narrateur rejette les avances d'une dulcinée qui l'a déjà fait souffrir dans le passé. Il ne se fera donc pas prendre "une deuxième fois". Le piano de George Martin vient accompagner et soutenir une mélodie vraiment plaisante chantée par John qui dit s'être inspiré de Smokey Robinson. Le solo de ce même piano est vraiment joli. Un excellent jeu de batterie est également à noter.

- "Money (That's what I want)" (Bradford/Gordy) : Pour terminer, un gros gros tube de la Motown (le premier), co-écrit par Berry Gordy lui-même, et interprété par l'excellent Barrett Strong. La version originale de 1959 est vraiment extra, les Beatles la suivent respectueusement, Lennon donnant tout ce qu'il a dans le chant, s'arrachant les cordes vocales, comme dans "Twist and Shout". Les choeurs sont très très soul, et musicalement, c'est rock, très rock, et très bon, notamment avec ce piano qui introduit à merveille le morceau. Côté texte, c'est complètement indécent, le narrateur hurlant qu'il préfère l'argent à l'amour et que son seul intérêt dans la vie est donc le fric. Un beau message. Un peu comme pour "Please Please Me", les Beatles ont voulu clore avec un titre énergique et efficace. Mission parfaitement remplie.

Avec "With the Beatles", les Fab Four poursuivent leur belle fuite en avant, riche de succès. Nous n'avons pas encore un véritable album, bien homogène, avec une vraie personnalité, mais côté musical et vocal, on sent que ça monte, qu'il y a de plus en plus d'assurance.

Si les reprises choisies sont intéressantes et plutôt bien choisies, on ressent encore un manque de maturité dans les compositions originales. La plupart d'entre elles ne valent pas des singles, sont du remplissage et cela affaiblit forcément un peu l'album. Pas sûr donc que le tout ait une très grande valeur, mais il reste cette fougue, cet entrain et ce talent indéniable pour ce qui est de la musique et du chant purs. Et c'est déjà très important...

En tout cas, pas d'inquiétudes, les mois vont passer encore très rapidement et le prochain album ne sera que tout meilleur...

Les morceaux à retenir : "It won't be long", "Don't bother me", "Please Mister Postman", "Roll over Beethoven", "Not a second time", "Money (That's what I want)".