lundi 16 janvier 2012

Abd Al Malik - Château Rouge (2010)

Abd Al Malik est un garçon que j'aime bien, que ce soit son personnage ou sa musique (globalement). A vrai dire, je n'ai connu que ses grands succès, paru sur "Gibraltar", puis c'est "Ma Jolie" qui m'a poussé à piquer ce dernier album, "Château Rouge", sur une table où figuraient pleins d'autres biens culturels.

Le slam, c'est intéressant, même si ce n'est pas plus mon truc que le rap. Et là, sur cet album, Abd Al Malik s'oriente justement plus vers quelque chose qui me fait penser largement à MC Solaar, avec de la variété dans le phrasé adopté. Parfois lent, parfois rapide, parfois chanté.

Maintenant, je ne vais pas pouvoir vous analyser plus que ça le pourquoi du comment, parce que je ne connais que cet album. On verra plus tard pour le reste. En attendant, parlons donc de "Château Rouge".

On apprécie la pochette avec Abd Al Malik qui pose, classe et serein sans regarder l'objectif, devant une sorte de magasin de tissus de toutes les couleurs, à l'image des boutiques colorées du quartier de Château-Rouge (d'où le titre de l'album, également de la dernière chanson du disque), et un néon (c'est un autre morceau de l'album), au-dessus de lui, indique son nom.

A l'intérieur du livret, de jolies photos ainsi que les (longs) textes des (longues) chansons de l'album que nous allons détailler gaiement.

- "Valentin" (Abd Al Malik / Bilal) : L'album s'ouvre avec un morceau plutôt bien rythmé, écrit avec son grand frère Bilal, mais pas très gai. Le chanteur évoque un enterrement... Celui du Valentin du titre, son grand-père, qui se déroule à Brazzaville, où a grandi Abd Al Malik. Le texte est assez intéressant, sur le souvenir et la mémoire, la musique aussi, un bon morceau mais aux tonalités vraiment mélancoliques.

- "Ma Jolie" (Abd Al Malik / Wallen) : Heureusement, ce deuxième titre, qui s'enchaîne sans transition avec le premier, vient donner un peu plus de fraîcheur. Enfin c'est ce que l'on croit si on s'en tient à la musique, hyper enfantine et rythmée, taillée pour en faire un single. L'histoire, c'est celle d'un gamin qui supplie sa "jolie" de lui revenir. Pendant trois couplets, tout est dans la reconquête, avant qu'intervienne le vrai visage du narrateur, violent et qui a vraisemblablement déjà frappé sa "jolie"... Sa soeur lui interdit alors de le revoir d'où la supplique... Un titre, coécrit avec Wallen, artiste et épouse d'Abd Al Malik, qui colle bien avec l'esprit adolescent d'aujourd'hui où on peut faire rêver avec des sacs Gucci et de la muscu. Un très bon titre où le slammeur manie bien le chant et son texte, dur, contrastant avec la musique joyeuse.

- "Miss America" (Abd Al Malik / Bilal) : Je suis moins fan de ce morceau, notamment du chant, très proche de celui du MC Solaar quand il est le moins bon, et de la musique, qui fait années 1980 et enfume le tout. Côté texte, c'est plutôt bien vu, critiquant les jeunes filles, Madame Bovary modernes, qui ne jurent que par ce qu'elles lisent dans les magazines people et s'inventent un style totalement superficiel, d'où le "Miss America" du titre. Dommage que l'enrobage soit moins bon que le texte, même si celui-ci n'est pas non plus très original.

- "Mon amour" (Abd Al Malik / Wallen) : On reparle d'amour ici, en anglais pour Wallen et en français pour Abd Al Malik. Wallen donne donc de la voix, mais on entend bien que l'anglais n'est pas sa langue maternelle. Ce qu'elle chante n'est pas non plus très profond: "My baby is a hero no matter what he shows/He's so much better than he knows". Son alter ego n'a pas non plus un texte très bon, se comparant à Adam et Eve. Et le son un peu électro n'arrange rien. C'est pas complètement nul, mais c'est assez banal et on a connu des chansons d'amour plus romantiques et transportantes.

- "Le Meilleur des mondes/Brave new world" (Abd Al Malik/Primary1/Bilal) : Passons à un morceau philantropique. Dès qu'Abd Al Malik se met à chanter, à toute vitesse, ça se gâte... c'est presque faux et le refrain est naze à souhait ("Pleurer sur ce dance-floor étrange d'autres y dansent/Vivre dans le meilleur des mondes, mondes"). Il y est rejoint par Primary 1, en anglais, et ça n'arrange rien. Des paroles à la musique, c'est encore du synthétique dégoulinant. Un morceau vraiment raté et chiant.

- "Dynamo" (Abd Al Malik/Ezra Koenig/Wallen) : Voilà un titre déjà beaucoup plus intéressant, ne serait-ce que grâce au texte, splendide évocation de la jeunesse d'Abd Al Malik qui raconte ses souvenirs de vélo avec son frère et ses amis dans la cité. Le chanteur nous offre le premier vrai slam de l'album et on est conquis. Le refrain est chanté en français par Ezra Koenig, le chanteur de Vampire Weekend, rien que ça. Cela donne un certain charme avec une musique toute douce et poétique. Bravo donc.

- "Centre ville" (Abd Al Malik/Wallen) : Ici, Abd Al Malik nous fait visiter Paris avec ses yeux de slammeur. Encore un morceau séduisant avec un refrain chanté de manière mécanique, évoquant la capitale comme la ville de la seconde chance. Musicalement, c'est pas mal non plus, presque pop. Abd Al Malik est vraiment meilleur que quand il slamme. Et c'est donc ce qu'il fait ici, de la gare de l'Est à Saint-Lazare en passant par Châtelet et le Sentier.

- "Goodbye Guantanamo" (Abd Al Malik/Bilal) : Un peu plus d'énergie dans ce morceau, beaucoup plus sombre du côté des paroles, largement abstraites et qu'on a bien du mal à lier au titre qui fait office de refrain. Je pense que l'auteur joue sur le contraste de l'espérance et de l'idéal, trahi par des lieux comme Guantanamo. Musicalement, c'est intéressant, toujours électronique mais entraînant avec notamment une insistance sur les percussions.

- "Neon" (Abd Al Malik/Mattéo Falkone/Bilal) : Ce titre n'est pas beaucoup plus éclairant, malgré une thématique lumineuse déclinée à toutes les sauces, mise en rapport avec la vie et l'existence. Abd Al Malik fait jouer sa voix lancinante, tranchée en fin de morceau par une apparition du rappeur Mattéo Falkone, qui a déjà travaillé avec Bilal et Wallen. Pas grand chose de dire de plus sur une chanson sombre, encore alimentée par un son vaguement 80's. On n'est pas trop fan.

- "We are still kings" (Abd Al Malik/Wallen) : Et voici un titre entièrement en anglais (mis à part une phrase dans un dialecte africain pour les jolis choeurs aigüs). Abd Al Malik s'y emploie tout seul ici et il s'applique, mais ce n'est pas non plus trop son truc, l'accent français se faisant souvent bien entendre, exprès ou pas. Mais on aime la tonalité africaine de ce titre, fraîche et jolie, qui compense ces problèmes de diction. Côté paroles, c'est encore un peu confus, le chanteur évoquant notamment ses racines et son statut.

- "Rock the planet" (Abd Al Malik/Cocknbullkid/Wallen) : Encore un morceau bilingue, avec Abd Al Malik pour le texte français et la Britannique Cocknbullkid pour l'Anglais, soit le refrain. C'est très varié musicalement, aussi bien africain pour les couplets slammés avec la belle voix grave d'Abd Al Malik que pop pour le refrain chanté joliment par Cocknbullkid. Un très bon petit titre dont la tristesse des paroles tranche avec l'espérance de la musique.

- "SyndiSkaliste" (Abd Al Malik/Wallen) : Comme son titre l'indique, cette chanson est rythmée comme un ska et les paroles parlent des luttes populaires et des espoirs optimistes des gens. Wallen redonne de la voix pour les refrains et ça sonne très bien, le tout se mariant très bien ensemble. Chouette!

- "Ground Zero (Ode to love)" (Abd Al Malik/Papa Wemba/Wallen) : Le slammeur reprend la langue anglaise ici et c'est toujours aussi peu convainquant. Quel intérêt, franchement? Pour cacher (un peu) un texte consacré à la religion (musulmane) et que le titre évoque le 11-Septembre? Il n'y avait rien de honteux à ça pourtant sauf s'il veut s'adresser à son public anglo-saxon, s'il existe... Les interventions du célèbre chanteur congolais, Papa Wemba, en dialecte africain, apportent heureusement une petite échappée africanisante une nouvelle fois bienvenue. C'est dommage parce que le morceau est plutôt joli, bien rythmé, mais l'horrible accent d'Abd Al Malik vient presque tout gâcher.

- "Château Rouge" (Abd Al Malik/Gérard Jouannest) : On termine l'album avec le morceau-titre, long fleuve (plus de 12 minutes!) tranquille. Accompagné au piano par Gérard Jouannest, pianiste de Jacques Brel et époux de Juliette Gréco, Abd Al Malik conclut avec un slam classique, racontant les destins croisés d'habitants du quartier parisien de Château-Rouge. C'est simple et bien raconté, comme le slammeur sait si bien le faire, avec un très belle partition au piano qui suit parfaitement le cours et le rythme du récit.

On referme ainsi cet album de manière apaisée alors que l'ensemble est plutôt rythmé. On sent qu'Abd Al Malik explore toujours plus de pistes, variant les plaisirs, les duos et chantant même presque plus que ce qui l'a fait connaître, le slam.

Si on n'est pas toujours très convaincu de son chant, qui ne s'accorde pas toujours bien à la musique, pas toujours réussie elle non plus, l'artiste se montre irréprochable justement sur les quelques slams de l'album. C'est vraiment sa force et il le confirme une fois de plus.

On aurait aussi voulu qu'il nous épargne ces quelques essais en anglais, mais bon, il va jusqu'au bout du touche-à-tout et on ne peut pas tout réussir. Globalement, Abd Al Malik offre malgré tout un album bien rempli qui pourrait gagner encore en diversité, mais qui se tient très bien sur la longueur malgré quelques morceaux banals. On est surtout curieux de découvrir la suite et aussi le passé, pour comparer.

Les morceaux à retenir : "Valentin", "Ma Jolie", "Dynamo", "Centre Ville", "Goodbye Guantanamo", "We are still kings", "Rock the planet", "SyndiSkaliste", "Château Rouge".