J'ai lu beaucoup de livres sur les Beatles et jusque-là, seule l'énorme autobiographie "Anthology" m'avait parfaitement comblé. J'ai complété cette nette satisfaction avec "En studio avec les Beatles" (sorti en 2014 pour la version française, 2006 pour la version originale), les mémoires de leur principal ingénieur du son, Geoff Emerick, écrites avec le journaliste Howard Massey.
Le grand intérêt de ce livre est qu'il offre lui aussi une plongée de l'intérieur de la carrière des Beatles, qui plus est bien précise, mais avec en même temps un point de vue extérieur et une subjectivité différente.
Geoff Emerick a eu une histoire assez incroyable, commençant sa carrière extrêmement jeune. Il raconte d'abord son enfance et sa passion pour les appareils sonores, qui le conduit à vouloir travailler dans un studio d'enregistrement. Ce n'était pas gagné à l'époque, mais à seulement 15 ans, il entre finalement comme ingénieur du son assistant aux studios EMI (surnommés Abbey Road depuis le fameux album...).
Le jeune technicien ne s'est pas occupé tout de suite des Beatles, mais il n'en était pas loin dès leur entrée chez EMI. Il gravitait autour, comme assistant, à des tâches "ingrates", mais utiles. Et en 1966, quand l'ingénieur du son "titulaire" des Fab Four, Norman Smith, décide de quitter son poste pour se lancer dans la production (des Pink Floyd), le producteur George Martin décide de le remplacer par Geoff Emerick, alors âgé de seulement 19 ans. Et quelle promotion puisque le premier album dont il va s'occuper est "Revolver"...
C'est à partir de ce moment que le livre devient évidemment d'autant plus intéressant puisque jusqu'alors, l'ingénieur du son ne racontait quasiment rien sur les précédents albums puisqu'il n'y a pas participé directement - mais son récit de l'intérieur des studios EMI n'est néanmoins pas dénué d'intérêt.
A partir de "Revolver", Geoff Emerick se montre donc très précis sur l'enregistrement de la plupart des chansons. On apprend plein de choses sur la manière dont elles ont été enregistrées et c'est passionnant car les Beatles et toute l'équipe qui les entourait ont dû redoubler d'ingéniosité et de créativité pour créer tous les sons qu'ils désiraient. Outre les limites technologiques de l'époque, bien que référents, les studios EMI n'étaient pas forcément non plus les mieux équipés au monde et leur fonctionnement était des plus guindés, car n'enregistrant que peu de musique populaire avant que les Beatles n'y débarquent. Avec leur musique, les Fab Four ont donc révolutionné aussi tout ce qu'il se passait à l'intérieur d'Abbey Road, avec évidemment carte blanche en raison de leur succès démesuré.
Geoff Emerick n'est pas que technique heureusement, il n'oublie pas non plus de raconter un peu la vie en studio, les faits et gestes, les attitudes et comportements des uns et des autres, qui provoqueront d'ailleurs son départ provisoire (accompagné de George Martin) de son poste auprès des Beatles - pour le double album "The Beatles" et "Let it be".
La carrière de Geoff Emerick ne s'arrêtera évidemment pas avec la séparation du groupe puisque l'ingénieur du son raconte aussi l'aventure - et bordel - Apple à laquelle il a participé, concevant le studio d'enregistrement du label des Beatles, et qui se poursuivra au début des années 1970, avant qu'il ne rejoigne les studios AIR de George Martin.
Si ses mémoires sont ainsi un recueil précieux sur les coulisses d'un groupe de génie, elles ne sont pas parfaites pour autant. Elles sont d'abord controversées, car remises en question par ses pairs, notamment Ken Scott, autre ingénieur du son des Beatles. Ce dernier a accusé Geoff Emerick d'avoir commis de nombreuses erreurs factuelles du fait d'une mémoire particulièrement défaillante - Howard Massey aurait en réalité plus fait appel à celle de ses congénères qu'à la sienne !
Il est donc dommage de devoir prendre toutes ces anecdotes avec des pincettes, surtout que l'ingénieur du son a promis de faire amende honorable dans les rééditions futures. Le technicien a aussi une fâcheuse tendance à s'attribuer beaucoup de réussites sonores de morceaux des Beatles, et pas les plus mineurs, et cela avec pas mal d'arrogance. C'est assez dérangeant, surtout quand on sait, donc, que ses propos ne sont peut-être pas si véridiques que cela.
Enfin, il y a son point de vue sur les Beatles et leurs morceaux. Pas qu'il ne soit pas intéressant, mais c'est alors là aussi que sa subjectivité agace un peu. Il est particulièrement dur avec George Harrison - ce que Ken Scott lui reproche aussi, le qualifiant en gros de piètre guitariste, qui n'arrive guère à sortir de solos potables - mais il lui attribue de très grandes qualités de producteur post-Beatles.
A l'inverse, Geoff Emerick n'a d'yeux que pour Paul McCartney, LE génie absolu des Beatles, le plus sympa, le plus ouvert, etc. Mais on sent que le point de vue est biaisé justement parce que le bassiste du groupe a été celui qui lui a accordé le plus d'attention lors de leurs sessions de travail. Et fera appel à lui à plusieurs reprises lors de sa carrière solo, notamment lors des collaborations avec George Martin.
Certes, le talent de Paul McCartney est indéniable et clairement supérieur à celui des autres dans certains domaines, mais ce qui agace, c'est que l'ingénieur du son tend à les rabaisser en comparaison, comme il le fait avec George Harrison donc.
Il est moins loquace sur John Lennon et Ringo Starr. Ils intéressent moins Geoff Emerick, outre parce qu'ils communiquaient peu - et John Lennon n'était pas forcément très sociable et reconnaissant, mais aussi parce qu'ils n'avaient que peu d'intérêt pour la technique en studio, notamment le premier, alors qu'il faisait régulièrement des demandes sonores farfelues - mais auxquelles les techniciens d'EMI se pliaient. Le second n'est pas vraiment plus admiré que George Harrison, l'auteur semblant même le considérer moins bon que Paul McCartney derrière les fûts. Décidément.
Ne soyons donc pas étonnés que le titre original soit une chanson de ce dernier ("Here, there and everywhere"), mais savourons malgré tout un ouvrage aussi nécessaire que fascinant, d'un point de vue différent sur le plus grand groupe de tous les temps.
lundi 4 septembre 2017
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