Retrouvons ici les joies des bandes originales de films. J'en ai pas énormément parce qu'il n'est pas facile pour un film de recueillir en son sein tant de bonnes chansons. Heureusement, on peut compter sur qques cinéastes mélomanes pour nous faire découvrir ou redécouvrir de très bons morceaux.
C'est le cas de Jim Jarmusch qui est aussi bon cinéaste que dénicheur de bons sons. Arrêtons-nous ici sur son excellent "Broken Flowers". L'histoire, c'est celle de Don (Bill Murray, parfait), un vieux beau qui reçoit une lettre d'une de ses nombreuses ex, qui l'informe qu'elle a eu un fils de lui il y a une vingtaine d'années et que ce dernier est parti trouver son père, Don donc. Intrigué, mais un peu moins que son voisin, il part dans une odyssée à travers les Etats-Unis pour revoir ses ex de l'époque et trouver laquelle cache un fils dont il ignorait l'existence jusque là...
C'est une bande originale assez éclectique mais pas trop, orientée jazz, soul et... classique ! La pochette reprend l'affiche du film et le livret ne comporte rien d'autres que des photos et les crédits.
Explorons ainsi ensemble l'épopée de Don à la recherche de ses ex perdues...
- "There is an end" (Fox) : Ce morceau, composé expressément pour le film, est interprété par une chanteuse britannique, Holly Golightly, qui performait avant au sein de Thee Headcoatees avant de se faire la malle en solo. Elle s'associe ici aux Américains de Greenhornes mené par le chanteur Craig Fox, auteur de la chanson, pour un morceau profondément 60's. D'ailleurs, on s'y croit vraiment alors que tous ces gens se sont révélés dans les années 1990-2000. Mais, rien d'étonnant quand on apprend que ces jeunes gens sont très friands de cette glorieuse époque musicale passée. Holly pose sa délicate voix de crooneuse sur un rythme très soul et brumeux, soutenue par séquences par la deuxième voix de Fox. Musicalement, c'est donc au poil et le texte colle bien à cet univers de nostalgie sentimentale brouillée...
- "Yegelle Tezeta" (Astatke) : On enchaîne avec le premier morceau de jazz éthiopien de la B.O. et ses rengaines hypnotiques. Jarmusch a subtilement insinué que le voisin de Don est d'origine éthiopienne pour que ce dernier lui file de la bonne musique à s'écouter pendant les longs trajets en voiture sur les routes américaines. Et nous voici donc dans une totale découverte, pour ma part, une musique sublime, douce et suave, composée par le père du genre, Mulatu Astatke, influencé aussi bien par le jazz et la soul occidentale que par les rythmes traditionnels de son pays. Don erre sur les routes et cette musique envoûtante le mène ici et là de magnifique manière... Percussions d'Astatke himself, cuivres ronds comme des ballons, c'est sublime.
- "Ride your donkey" (Murphy/Davis) : Nous poursuivons l'errance de Don avec à nouveau de la musique rythmée, cette fois orientée reggae, grâce aux Tennors, un groupe vocal jamaïcain qui cartonna en 1968 avec ce tube majeur. Malheureusement, après un bon succès dans les années 70, le groupe s'est séparé et on n'a plus jamais vraiment entendu parler d'eux... Bon titre en tout cas que ce "Ride your donkey", simple, court (à peine 2 minutes) et totalement reggae que ce soit la guitare ou la grosse basse.
- "I want you" (Ware/Ross) : Beaucoup plus connu, Marvin Gaye et ce single sorti en 1976. C'est une transition à l'époque pour le roi du funk qui s'adonnait un peu plus au disco. A la base, cette chanson, composée par le duo de producteurs Motown Leon Ware et Arthur "T-Boy" Ross (petit frère de Diana Ross), devait être interprétée par Ware lui-même pour son propre album. Mais Berry Gordy Jr, grand patron de la Tamla Motown, en a décidé autrement et l'a donné à Marvin Gaye, participant également à la production. Un titre profondément soul, pas encore totalement disco, avec de jolis choeurs suaves qui accompagnent un Marvin Gaye rempli de désir. Je comprends la chaleur que dégage ce genre de titre mais moi, je trouve cela plutôt répétitif et un peu ennuyeux avec un texte qui ne fait que dire "I want you" à son interprète. Cela fait un peu mièvrerie funk, pas ma came.
- "Yekermo Sew" (Astatke) : Deuxième morceau de Mulata Astatke, beaucoup plus présent dans le film que le précédent et que je préfère également. Ils se ressemblent un peu mais celui-ci est plus calme et ombrageux avec, lui aussi, une rengaine à la trompette totalement hypnotisante et envoûtante. Derrière, la percussion, tenue par Astatke, est subtile et splendide. Petit solo de vibraphone du maître en milieu de chemin, suivi d'une fulgurance très fine de guitare électrique ultra saturée. Et les trompettes qui enchaînent par-dessus avec leur rengaine. Une pépite que ce titre.
- "Not if your were the last dandy on Earth" (Hollywood) : Cette chanson du groupe indépendant américain Brian Jonestown Massacre date de 1997 et redonne un peu de vigueur à la quête de Don. On est à nouveau pas loin du son 60's, en guère plus électrique, avec la voix de jeunot du leader du groupe, Anton Newcombe. Le texte se moquerait gentiment, selon les fans, d'un groupe plus ou moins rival, les Dandy Warhols, d'où le titre de la chanson. Pas mal !
- "Tell me now so I know" (Davies) : Où l'on retrouve à nouveau la Britannique Holly Golightly pour une chanson du Kink Ray Davies inconnue au bataillon... La mélodie mélancolique est elle est bien là, sur un texte de chanson d'amour à l'ancienne, mais je ne me vois pas très convaincu par la prestation vocale de la petite Holly que je trouve un peu rapide et bâclée... La musique oui, la voix, bof. Mais c'est très court, à peine 2 minutes.
- "Gubelye" (Astatke) : Troisième morceau de notre jazzman éthiopien préféré. C'est ici beaucoup plus ombrageux et mélancolique que les deux premiers. Le saxophone fait un peu flûte indienne pour amadouer les cobras avant de laisser place à un solo de clavier, avec derrière une basse et une batterie presque coordonnées. Un morceau très nocturne et pessimiste.
- "Dopesmoker" (Cisneros/Pike/Haikus) : Histoire spéciale pour cette chanson du groupe de métal américain Sleep qui s'est séparé à cause d'elle ! Le groupe a connu une carrière honorable dans la première moitié des années 1990. En 1995, ils proposent à leur maison de disques un album constitué d'un seul morceau, "Dopesmoker", qui durait plus d'une heure ! La maison de disques l'a refusé ainsi que l'essai suivant et, malheureux, le groupe a fini par se dissoudre même si l'album a pu sortir de façon posthume, sous le nom de "Jerusalem", qques années plus tard... Ici, pas de morceau d'une heure évidemment, juste un extrait de 4 minutes qui nous suffit amplement ! C'est du gros son, grosse guitare, grosse basse, grosse batterie, juste de l'instrumental. Bon, y a une esquisse de mélodie mais ça casse pas trois pattes à un métaleux.
- "Requiem, op. 48 (Pie Jesu)" (Fauré) : Un peu de musique classique après les brutes américaines. C'est le morceau que Don écoute en solitaire sur son canapé avec sa tête de chien battu. Ce "Pie Jesu" est un motet issu du Requiem du compositeur français (Cocorico) Gabriel Fauré, interprété par l'Oxford Camerata. Et c'est assez magnifique, il faut bien le dire. Le chant féminin est aérien, planant, sur un accompagnement doux comme un agneau... On reste sans voix.
- "Ethanopium" (Astatke) : Le retour de Mulatu Astatke ? Eh bien pas tout à fait. Il s'agit bien d'un morceau à lui, dans la veine des deux premiers de la B.O. (et calqué sur "Yegelle Tezeta" d'ailleurs), mais interprété par les Dengue Fever, un groupe américain des années 2000 passionné de pop cambodgienne et de rock psychédélique ! Et ça le fait carrément sur cette reprise, groovy comme il faut, frais et plus psyché en effet grâce à cet orgue fou. Toujours aussi bon.
- "Unnatural habitat" (Keeler/Curley) : Les Greenhornes sont de retour pour le dernier morceau de l'album. Celui-ci est intégralement instrumental, assez planant avec cette rengaine au xylophone ou un instrument de la sorte, rejoint plus tard par de la guitare électrique. Court mais intense.
Toutes les B.O. reflètent l'esprit d'un film et on peut les apprécier, à part, juste en fonction de nos goûts musicaux. Parfois, ce ne sont justement que de bonnes compilations, qui nous font rarement replonger dans le film rien qu'à leur écoute.
Avec Jarmusch, c'est tout autre chose. Quand on écoute la B.O. de l'un de ses films, on y est, on y plonge. On se remémore les moments clés, l'atmosphère, l'ambiance. Bon, le scénario de "Broken Flowers" n'est pas très complexe mais en écoutant sa B.O., on est avec Don, sur les routes, dans sa voiture, dans son sillage...
C'est une B.O. qu'on qualifiera facilement d'électique malgré une ambiance assez homogène. Finalement, le jazz éthiopien s'allie très bien au rock inspiré 60's, avec une dose de métal et de musique classique. Si les morceaux rock ne nous épatent pas tant que ça, la découverte du jazz de Mulatu Astatke est lumineuse et ce sont surtout ces morceaux qui ont provoqué chez moi l'envie d'acquérir cet album.
Excellent film, brillante B.O., on en écoutera d'autres...
Les morceaux à retenir : "Yegelle Tezeta", "Yekermo Sew", "Requiem, op. 48 (Pie Jesu)", "Ethanopium".
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