Ce début des années 1970 est flamboyant pour Paul McCartney qui en à peine deux ans a publié déjà deux albums. "Ram" est à peine sorti et le succès public conduit l'ex-Beatles à poursuivre son boulot musical comme un forcené.
Le prochain album à venir, enregistré toujours durant l'année 1971, sera cette fois celui d'un vrai groupe, les Wings. Les notes de l'album "Wild Life" expliquent le déroulement des choses. Après l'enregistrement de "Ram" à New York, le couple McCartney retourne en Grande-Bretagne pour les vacances.
Des vacances studieuses puisqu'ils bossent déjà sur de nouvelles chansons. Satisfaits des apports de Denney Seiwell à la batterie et de Denny Laine à la guitare sur "Ram", les McCartney les rappellent pour l'enregistrement du prochain. En trois jours, la majorité de l'album était dans la boîte et quinze jours plus tard, l'affaire était pliée, l'idée de retrouver ce sentiment d'urgence des débuts de la musique pop avec des morceaux enregistrés parfois en une seule prise.
Paul McCartney se présentait ainsi au monde avec un nouvel album et surtout un nouveau groupe, les Wings. Au programme : du brut, du roots, du folk, du nature à l'image du titre de l'album ("Vie Sauvage"), qui tranche avec les orchestrations de "Ram".
La pochette de l'album exprime parfaitement ce retour à l'état de nature souhaité par le clan McCartney : Dans un décor forestier, les deux Denny et Linda McCartney sont assis sur une branche tandis que Paul McCartney se met à l'eau, une guitare dans les mains. Un choix de nom et de photo controversé que ne reproduira plus l'ex-Beatles par la suite. En effet, son propre nom n'apparaît pas et il est noyé au milieu du groupe sur la photo. Les mauvaises critiques n'aidant pas, cette initiative se révèlera un échec commercial relatif, d'autant plus que Lennon venait de sortir "Imagine".
Cependant, si "Wild Life" est en effet un ton en dessous des deux précédents albums de McCartney, il recèle tout de même, comme toujours, de fort jolies pépites.
-
"Mumbo" (Paul & Linda McCartney) : Démarrage en trombe pour l'album avec un McCartney gueulard sur un morceau lourd et puissant, soutenu par une base piano-batterie bien chargée. Les guitares apportent un côté sauvage et rock au tout, même si cela ressemble souvent à un joli foutoir avec des paroles consistant en des bouts de phrases et autres onomatopées.
-
"Bip Bop" (Paul & Linda McCartney) : On se calme immédiatement avec un morceau tout doux. On retrouve le McCartney charmant et adorateur de comptines avec cette chanson qu'il aimait à chanter à ses enfants. La base musicale guitare-basse est délicieuse, mais le morceau est gâché par un McCartney qui chante d'une voix de fond de gorge remplie d'écho. Les paroles, composées en majorité de "bip bop", sont largement incompréhensibles. Si elle n'est pas désagréable, cette chanson est considérée par les fans comme l'une des plus ridicules de McCartney et n'aide en effet pas à asseoir sa crédibilité auprès des non-initiés.
-
"Love is strange" (Diddley) : McCartney n'a jamais repris beaucoup de chansons sur ses albums originaux, préférant miser, avec raison, sur ses propres compositions. Il fait un écart ici avec le délicieux "Love is strange" de Bo Diddley chanté autrefois par le duo Mickey & Sylvia ou encore Buddy Holly. L'ex-Beatles prend l'option reggae, fort originale et réussie, démarrant son chant après plus d'1 min 30 d'une magnifique intro musicale. Musicalement justement, c'est splendide avec une partition guitare-basse de pure beauté et une batterie rapide et audacieuse. McCartney prend sa plus belle voix pour chanter, aidé par ses compagnons pour les refrains. Sur la fin, il ose même des "na na na na na na na Love is strange" à la "Hey Jude". On ne reconnait donc quasiment pas la chanson originale sauf les paroles, elles-mêmes légèrement modifiées, qui s'interrogent sur les composantes de l'amour, ce sentiment si "étrange".
-
"Wild Life" (Paul & Linda McCartney) : La chanson-titre de l'album et l'une des plus sombres. Intro guillerette à la McCartney avant qu'un orgue ne vienne alourdir l'ambiance. Un morceau pas très fun mais vocalement superbe (Paul va chercher loin sur certains vers, sans parler des ponctuations apportées par des choeurs angéliques) et musicalement excellente (splendide lead guitar et basse d'outre-tombe). Un très grand et long moment de l'album, tout cela pour défendre la cause animale (l'un des chevaux de bataille des McCartney).
-
"Some people never know" (Paul & Linda McCartney) : On poursuit avec une jolie ballade chantée en quasi duo par Paul et Linda. Le timbre de cette dernière n'est pas trop mal même si pas toujours très solide et juste. Musicalement, c'est tout mignon, avec qques jolis moments de choeur vers la fin. Cependant on peut regretter une longueur inapproprié (plus de 6 min 30!) pour une bluette qui ne casse pas non plus des briques. Les paroles parlent pour leur part d'un amour incompris par les autres, mais qui perdure grâce à la confiance qu'ont les deux amoureux l'un pour l'autre.
-
"I am your singer" (Paul & Linda McCartney) : Nouveau duo adorable entre Paul et sa compagne. Cette fois, il lui laisse quelques vers à chanter toute seule. On est plus charmé par cette chanson que la précédente, et c'est du coup bien dommage qu'elle soit si courte (à peine 2 min). On apprécie cet air champêtre, souligné par une très belle partition de flûte, apposé à des paroles métaphoriques ("Tu es mon amour, tu es ma chanson, je suis ton chanteur...") 100% romantique. Encore du Paul tout craché.
-
"Bip Bop link" (Paul & Linda McCartney) : Comme il l'avait fait avec "Ram" sur l'album précédent, Paul nous ressert une louchée uniquement musicale d'une quarantaine de secondes de "Bip Bop". Charmant intermède.
-
"Tomorrow" (Paul & Linda McCartney) : Voici un petit amour de chanson... Paul prend sa voix la plus enrobée pour conter à sa mie une ode à la nature et surtout lui supplier de ne pas le quitter "demain". C'est assurément mon morceau préféré de l'album tant McCartney atteint la perfection aussi bien vocale (les choeurs sont splendides) que musicale (où le piano et la basse dominent le tout). "Tomorrow", un bijou pop dont on ne peut vraiment pas se passer.
- "Dear friend" (Paul & Linda McCartney) : Après l'ode champêtre, on passe à un morceau plus sombre, dans lequel Paul McCartney s'adresserait directement à John Lennon et à la saillie que ce dernier lui avait balancé dans "How do you sleep ?" sur "Imagine". Plutôt que d'envenimer les choses, Paul préfère apaiser tout ça avec une chanson prônant la réconciliation. Si elle est assez longue (plus de 5 minutes), le texte, lui, est assez court, l'ex-Beatles posant plusieurs questions assez mystérieuses ("As-tu peur, ou est-ce vrai ?", "Es-tu stupide, ou est-ce vrai ?") à son "cher ami" dont il se dit amoureux. Musicalement, on est dans la gravité. Le piano domine largement, qques cuivres l'accompagnant, et la voix de McCartney est plaintive, toute en écho. Un morceau fort.
- "Mumbo link" (Paul & Linda McCartney) : On referme cet album avec le même procédé utilisé pour "Bip Bop". Une partition uniquement musicale issue du morceau d'ouverture, "Mumbo". Pas vraiment utile, mais ça ne dure qu'une quarantaine de secondes.
- "Give Ireland back to the Irish"* (Paul & Linda McCartney) : Comme tout album réédité, nous avons le droit à qques bonus. "Give Ireland back to the Irish" a constitué le premier single des Wings, sauf qu'il a été banni des ondes pour des raisons politiques faciles à deviner. Il est apparu après la sortie de "Wild Life", en février 1972, afin de répondre musicalement au fameux Bloody Sunday. On notera que McCartney a dégainé avant le "Sunday Bloody Sunday" de Lennon, publié sur l'album "Some Time in New York City" (dont nous avons parlé ici-même) en juin 1972. Egalement à noter, la présence sur ce single du nouveau guitariste solo des Wings, Henry McCullough, qui avait joué auparavant pour le Grease band de Joe Cocker et Spooky Tooth. Musicalement, ce n'est pas grandiose, une sorte de ballade pop à la "Backfinger", malgré un refrain entêtant. Côté paroles, McCartney invite clairement les dirigeants de son pays à rendre l'Irlande aux Irlandais, soit le Nord au sud, sous peine de conflit plus grave encore. L'ex-Beatles touche au but avec notamment ce passage : "Les Britanniques et tout le monde disent que les peuples doivent être libres, tandis qu'en Irlande, il y a un homme comme moi (...) et il se sent vraiment mal, et il est assis dans une prison". Un morceau tout de même sacrément efficace. La face B de ce single fut la version uniquement musicale du même morceau.
- "Mary had a little lamb"* (Traditionnel / Paul & Linda McCartney) : Deuxième single des Wings et encore une controverse à son propos. Il s'agit d'une célèbre comptine britannique du 19e siècle qui raconte l'histoire de la petite Mary et de son agneau qui la suit partout. Elle fut ainsi reprise par la famille McCartney (ses enfants sont dans les choeurs) pour se moquer du bannissement du single précédent ("Give Ireland back to the Irish" des ondes). Cette explication, donnée par l'ex-Beatles à l'époque, aurait été réfutée plus tard par lui-même, donc on ne sait pas trop. En tout cas, le single fut descendu par les critiques le prenant au premier degré. Dommage car il s'agit d'une bien jolie chanson, très joliment orchestrée, McCartney prouvant une fois de plus qu'il transforme tout ce qu'il touche en or (avec des "la la la la la la la" comme toujours). Son intérêt est certes limité, mais la qualité est vraiment supérieure.
- "Little woman love"* (Paul & Linda McCartney) : Et voici la face B de "Mary had a little lamb" que les radios préférèrent finalement diffuser en majorité, s'agissant d'un morceau déjà un peu plus "sérieux". Composée en 1970 et enregistrée durant les sessions de Ram, McCartney préféra la garder au chaud jusque là. "Little woman love" est un morceau très entraînant et sympathique, sur un rythme proche de "Lady Madonna" avec la voix omniprésente de Linda dans les choeurs. Pas très longue, la chanson ne va pas chercher très loin dans les paroles : "J'ai une petite femme que j'aime vraiment, elle me va comme un gant, vous savez que je l'aimerai toujours / Je l'emmène chez moi presque tous les soirs, elle adore me serrer dans ses bras, vous savez je me sens bien avec ma petite femme". Encore un petit morceau qui ne paye pas de mine, mais ô combien pop et efficace.
- "Mama's little girl"* (McCartney) : Voilà un morceau qui a pas mal voyagé. Enregistré durant les premières sessions du prochain album des Wings ("Red Rose Speedway"), il fut mis à la cave avant de devoir sortir sur un best of spécial du groupe au début des années 1980 comprenant les précieux rebuts de McCartney et de ses comparses. Sauf que ce best of ne vit jamais le jour, enfin si, mais dans une version plus classique, sans "bonus". Et c'est ainsi que "Mama's little girl" resta dans les cartons jusqu'à sa publication en face B du single "Put it there" datant de 1990! Et c'est bien dommage car, là encore, il s'agit d'une perle de plus à enfiler sur l'immense collier de Paul McCartney. Dès l'intro, on est happé par la douceur d'une chanson à tomber, avec paroles poétiques mais difficilement compréhensibles. La voix de Paul est dans le même ton, charmante à souhait, et les choeurs sont aussi de la même veine. "Mama's little girl", c'est du miel, du sucre, mais absolument pas bourratif, même quand l'orchestre ramène sa fraise. Une bien belle conclusion à cette réédition.
Si l'ont peut aisément comprendre la déception du public et des critiques à l'écoute de "Wild Life", car c'est dur de passer après un chef d'oeuvre tel que "Ram", on ne peut se résoudre à parler non plus d'un album "mineur" ici.
Car Paul McCartney a su en quelques jours et en quelques morceaux concocter un album léger, mais solide à la fois, avec des choeurs et orchestrations aux petits oignons. Dans cette variété, il y a bien des morceaux moins bons que d'autres, mais dont la faiblesse est largement compensée par les chansons les plus fortes du disque.
Avec "Wild Life", l'ex-Beatles et son nouveau groupe réussissent leur premier coup, une belle transition, douce et champêtre, vers une période plus faste, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des studios. Certes, l'empreinte Wings n'est pas encore totalement là, mais ses prémices sont là, prêts à éblouir dans l'album suivant. McCartney ne retrouvera pas une telle fraîcheur voire spontanéité (si on excepte "McCartney II") avant "Flaming Pie" dans les années 1990.
Les morceaux à retenir : "Love is strange", "Wild Life", "I am your singer", Tomorrow", "Dear friend".